Affichage des articles dont le libellé est Alain Jégou sur... Indiens. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Alain Jégou sur... Indiens. Afficher tous les articles

I comme Indiens

« Déjà quand j’étais môme, quand on jouait aux cow-boys et aux Indiens avec mes potes, je choisissais toujours le camp des « méchants sauvages ». J’avais dû déjà percevoir le courage et la fierté de ces peuples et l’infamie dont ils avaient été victimes.
La culture amérindienne m’a toujours fasciné. Leur rapport à la terre et aux éléments, leur profond respect pour la nature, leur détachement de toutes préoccupations matérialistes, leur mépris pour tous comportements vénaux et égoïstes, leur solidarité tribale, leurs mythes et légendes… Toutes ces choses tellement lointaines de nos histoires et cultures judéo-chrétiennes. Je me serais certainement senti plus à l’aise dans une telle société que dans celle où je suis né. Je parle de société, pas d’environnement, car comme je te l’ai dit précédemment, je suis vraiment heureux d’être né en Bretagne, ce qui n’aurait peut-être pas été le cas si j’étais né dans le désert d’Arizona ou dans les Rocheuses du Montana. »

N comme Navajo

« J’étais en Arizona et au Nouveau-Mexique à l’été 1995. Le bateau était en carénage et je disposais d’une dizaine de jours de temps libre. J’en ai donc profité pour faire cette petite virée sur le Territoire de la Tortue (c’est ainsi que les « natives » appellent l’Amérique). Ce fut un chouette périple à travers le désert et les réserves. Débarqué à Phoénix, Arizona, j’ai loué une bagnole pour monter au Grand Canyon, puis j’ai mis le cap sur le Nouveau-Mexique, en passant par Flagstaff, Holbrook, Gallup (où j’ai fait un brin de chemin sur la mythique Road 66), Albuquerque, Santa Fe, Taos, Los Alamos, Las Cruces, El Paso, Tucson, et retour à Phoénix. Je raconte aussi tout ça dans un bouquin publié par La Digitale : « Paroles de sable ».
Tout ne s’est bien sûr pas passé comme je l’avais imaginé. Les voyages, ça ne se passe jamais comme on les prévoit et imagine, mis à part ceux organisés par les tour-opérateurs. J’avais quelques adresses de poètes amérindiens fournies par Manuel Van Thienen, leur traducteur pour la France, mais soit ils étaient absents lors de mon passage, soit je passais trop loin de chez eux pour les visiter. J’ai donc laissé tomber très vite mon carnet d’adresses et ai suivi mon bonhomme de chemin à l’instinct. Y’a tellement de lieux magiques et bouleversants dans le désert qu’il suffit de se laisser porter pour faire des découvertes et rencontres exceptionnelles. C’est ce que j’ai fait durant cette dizaine de jours. »

L comme Lance Henson

« Lance est venu deux fois chez nous. La première fois en mars 1995 avec Manuel Van Thienen, son traducteur et ami, qui me l’a fait connaître. La deuxième fois, il est venu seul et nous avons fait une tournée de lectures en Bretagne ensemble. C’était en février 1998. Je me souviens qu’il faisait anormalement froid cet hiver-là et que nous avons sacrément caillé sur les routes du Centre Bretagne. Heureusement que le lambig (eau de feu bretonne) coulait abondamment dans nos veines et qu’il y avait les sourires des squaws du cru pour réchauffer nos cœurs. J’ai écrit un poème là-dessus, publié dans « Qui contrôle la situation ? » à La Digitale.

Lance n’est pas venu en mer sur « l’Ikaria ». Les Affaires maritimes ne nous autorisent pas à embarquer des passagers en hiver. C’est trop dangereux. Il est cependant venu à bord dans le port. Il voulait voir comment c’était foutu un bateau de pêche breton. Il trouvait l’habitacle vachement exigu. Il s’est marré en visitant le poste d’équipage et m’a dit : « lorsque je ne saurai plus où aller pour me planquer du FBI, je viendrais volontiers me réfugier sur ton bateau. Et si t’as des problèmes avec les fédéraux d’ici, je t’accueillerai dans mon tipi en Oklahoma, OK ? » « No problem, brother », que je lui ai répondu et on est allés siroter quelques bières bretonnes dans un des nombreux bistrots du port pour arroser notre nouveau traité.Une autre fois, nous nous baladions sur le rivage. Les vents du large soufflaient fort depuis plusieurs jours et la mer était grosse. Lance avait du tabac et de petits cailloux d’Oklahoma dans une bourse qu’il portait autour du cou. À un moment, il s’est tourné face à l’océan, a déposé quelques brins de tabac dans l’eau et a jeté deux ou trois petits galets dans les vagues. Il a ensuite médité quelques minutes puis est venu vers moi et m’a dit : « J’ai parlé pour toi à l’océan, brother. Demain tu pourras retourner en pêche en toute sérénité ». Ce fut un grand moment de partage et d’émotion. »

Lecture de "Ombre rosse" par la poète cheyenne Lance Henson en 2005