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P comme Pêche

« J’ai commencé par les casiers, à Doëlan, comme matelot, puis j’ai continué lorsque j’ai acheté mon premier bateau, le « Skrilh Mor » (« Grillon de la mer » en breton, ou langouste), en 1978. Puis, comme bon nombre de caseyeurs bretons, j’ai opté pour la pêche aux filets, ciblant le poisson, lorsque les pêcheurs anglais se sont mis à pêcher le tourteau pour l’exportation et à inonder le marché français. Nous n’étions plus compétitifs, alors nous avons dû changer de type de pêche. Avec le « Skrilh Mor », j’avais déjà diminué le nombre de mes casiers pour augmenter petit à petit celui des filets, d’abord les grands maillages à lottes, raies, turbots, puis ceux à lieus jaunes, merlus, juliennes. Mais le bateau n’était pas adapté pour ce type de pêche, alors j’ai décidé de faire construire l’« Ikaria », le faisant aménager et équiper à mon idée, avec l’accord et la complicité du directeur du chantier de La Presqu’île, au Croisic. C’était en 1986.
L’« Ikaria », (comme le « Skrilh Mor » avant lui), était armé à la petite pêche et nous fréquentions essentiellement les zones côtières de Bretagne Sud, des îles Glénan au sud de Belle-Ile. Nous faisions la journée, durant la majeure partie de l’année, départ à 3 h du matin et retour vers 15 ou 16 h, 6 jours sur 7, et partions pour la semaine durant les mois d’avril-mai dans le sud de Belle-Ile, 7 heures de route de notre port d’attache, pour pêcher le rouget barbet, départ le dimanche soir et retour dans la nuit du vendredi au samedi. Nous avions une cale réfrigérée à bord et pouvions stocker jusqu’à 2 tonnes de poisson, mais nous venions débarquer la pêche en milieu de semaine à Lorient ou Quiberon pour assurer la qualité du poisson. Nous quittions la zone de pêche dans l’après-midi du mardi pour faire l’aller-retour dans la nuit et arriver sur zone le mercredi à la pointe du jour pour remettre en pêche, 14 heures de route. Beaucoup de boulot et peu de repos durant ces campagnes de rouget. Il m’est arrivé de ne dormir qu’une petite quinzaine d’heures sur 5 jours. C’était vraiment lessivant, mais la saison du rouget durait peu de temps, alors il ne fallait surtout pas la rater. Avec les pêches de soles en janvier, février, mars, c’était une part importante de notre chiffre d’affaires de l’année. »

O comme Océan

« Le fait d’être né à si peu de distance de l’océan a sûrement influé sur mes choix existentiels et professionnels. Et puis, plus tard, toutes mes années d’enfance passées à glander ou courir sur le rivage, cheveux au vent et les yeux sans cesse plongés dans tout ce bleu immense, avant qu’ils bifurquent vers les roploplos naissants et popotins jolis des petites amoureuses estivales, j’pouvais vraiment pas y échapper. Malgré la courte durée d’éloignement, les périodes scolaires à me morfondre au pensionnat, puis une année passée à faire le con dans le Pacifique (encore un océan), nourri, logé et irradié, aux frais de la princesse, sur un atoll livré aux géniaux adeptes du thermonucléaire, et quelques escapades sur les routes d’Europe durant ma période « vagabond céleste », je n’ai jamais vécu bien longtemps éloigné de mon cher vioque Atlantique.
Durant mes années de lycée à Lorient, une fois viré de chez les curetons de Redon, il m’arrivait même fréquemment d’aller bosser au port de pêche la nuit, au débarquement du poisson et lavage de la criée, pour me faire un peu d’argent de poche. De voir tous ces rafiots et ces forbans de matelots qui roulaient leurs mécaniques sur les quais et dans les bistrots, a dû aussi me coller quelques idées vagabondes en tête.
L’idée a mis du temps à mûrir, car ça n’est qu’à l’âge de 28 ans, après avoir exercé quelques turbins terriens, comme manœuvre du bâtiment en Suisse durant quelques mois ou chauffeur routier en France durant cinq ans, que j’ai signé pour mon premier embarquement. »

M comme Mer

« C’est particulièrement jouissif de se sentir en harmonie avec les éléments, loin de toutes les mesquineries et turpitudes auxquelles on est confronté à terre. C’est la totale évasion, le trip absolu. Et puis il y a un formidable rapport charnel avec la mer. Même s’il y a la coque du rafiot entre elle et toi, tu la sens qui vibre, bouge, ondule, tressaille… en permanence sous toi, telle une femme avec qui tu ferais l’amour. A la différence qu’elle serait plutôt mante religieuse que femme aimante, la mer, cap de te becter une fois la petite affaire terminée. Elle est comme ça. Elle sait se montrer docile, câline, voluptueuse à souhait, puis virer chieuse, hargneuse, dangereuse, sans que tu n’aies fait quoi que ce soit pour la mettre en de tels états. Les rapports sont souvent compliqués avec elle et tout son attirail atmosphérique, mais on peut aisément lui pardonner, passer outre toutes ses sautes d’humeur, lorsqu’on est franchement mordu. A la vie, à la mort. Même lorsqu’on a posé définitivement son sac à terre, qu’on a cessé de lui caresser quotidiennement la croupe, le désir est toujours là et on ne peut mater ses formes, humer ses fragrances iodées, sans en être tout tourneboulé. »

N comme Naviger

« Naviguer par gros temps, c’est toujours pénible et éprouvant, mais le pire qui puisse arriver dans ces sales conditions, c’est l’incident mécanique. Lorsque le moteur décide de se foutre en grève, le bateau est livré aux seuls éléments et tu ne peux plus rien maîtriser. La galère absolue ! Si tu ne peux pas réparer la panne, ta seule planche de salut, ce sont les copains, à condition que l’un d’entre eux parvienne à te rejoindre à temps pour te passer la remorque et vous ramener à terre, ton bateau, ton équipage et toi, avant que la mer ne vous becte tout crus. Ça nous est arrivé une fois, en panne de barre, dans un endroit particulièrement hostile puisque nous n’étions qu’à environ un demi-mille des falaises de l’île de Groix et que les vents nous poussaient vers la roche. Sans l’arrivée rapide d’un confrère qui était en pêche dans la zone, nous aurions été fatalement drossés à la côte. »

F comme Fatalité

« J’ai perdu une bonne vingtaine de copains en mer en 28 ans de carrière, des mecs que je connaissais bien, avec qui j’avais fraternisé et souvent discuté. Il y a un certain sentiment de fatalité qu’on acquiert très vite dans ce métier qui est, aux dires des statisticiens, le plus dangereux de tous. Il faut vivre avec le souvenir de ces naufragés-là, certains repêchés, d’autres jamais retrouvés, avec aussi l’idée qu’un jour ça pourrait être notre tour de « boire la lavure de notre fessier », comme disaient les anciens. La mort, la grande faucheuse drapée dans son suaire noir déboulant de la brume sur sa vieille barcasse, on la connaît bien, on la fréquente au quotidien, on connaît ses petites manies, y’a une espèce de deal entre elle et nous, on fait avec et on finit par l’oublier jusqu’au moment où elle réclame son tribut. C’est comme ça ! Qu’est-ce qu’on y peut ? »

I comme Ikaria LO 686070

« C’est Philippe Marchal, l’animateur de la revue « Travers », avec qui j’étais en relation depuis déjà une petite dizaine d’années, qui m’a proposé de me consacrer un numéro complet de sa revue. Comme il me laissait entièrement libre du choix des textes et du thème abordé, je me suis dit que ça pourrait être l’occasion de raconter quelques moments de vie en mer, faire partager certaines aventures et émotions âprement vécues. J’avais déjà écrit quelques poèmes évoquant tout cela, mais jamais un recueil traitant uniquement de ce sujet.
J’ai fait le choix de la prose, tout en travaillant teigneusement la langue, comme en poésie, pour trouver le bon rythme, retransmettre le swing de l’océan. Je ne sais pas si ce livre restera, mais il continue sa route depuis voilà dix ans, puisque le numéro de « Travers » ayant été rapidement épuisé, il a fait l’objet de deux rééditions depuis, l’une chez Blanc Silex en 2004 et l’autre chez Apogée (augmenté de Passe Ouest) en 2007.
Une fois les textes écrits, c’est Philippe qui a tout organisé : le choix des caractères, la mise en pages… et pour effectuer les dernières corrections, faire le choix des pastels pour le cahier central, je suis allé chez lui à Fougerolles, en Haute-Saône, en compagnie de Georges. Moments inoubliables de partage et d’amitié. Sans doute que cette belle et forte complicité y est pour beaucoup dans le succès et la durée de ce livre. »

B comme Bretagne

« Lorsqu’on est né sur ce vieux massif, à quelques pas de l’océan, on ne peut pas rester indifférent à ce bien étrange et fantastique univers qui nous entoure. Oui, l’errance, la mer, la mort, ces trois thèmes ont toujours accaparé l’imaginaire de nos écrivains de Bretagne, et aussi celui des populations de ce pays. De Tristan Corbière à Paol Keineg, d’Anatole Le Bras à Jacques Josse, de Yves Elléouët à Danielle Collobert… tous ont hérité et nourri leurs œuvres de ces sujets prégnants.
La mort est ici chez elle, plus que partout ailleurs sans doute. La mer et elle ont toujours fait bon ménage, et la campagne également. L’Ankou errant un jour sur sa barcasse au milieu du flot et l’autre sur sa charrette au cœur des bois et des champs, des scènes fortement ancrées dans l’imagerie populaire.
J’entretiens effectivement un profond rapport affectif avec ce pays qui m’a vu naître. L’errance, la mer, la mort, sont aussi des sujets qui m’ont toujours fasciné. Je pense qu’on ne peut y échapper lorsqu’on vit ici. J’ai lu récemment le journal d’une écrivain née à Brest en 1875 et morte à Lorient en 1918 : Marie Lenéru. J’ai retenu cette phrase d’elle, extraite d’une page écrite en 1899, alors qu’elle n’avait que 24 ans : « la mort ne vaut pas d’être une obsession. Elle est à sa place au bout de la vie ; ne l’en dérangeons pas. » C’est de cette façon, je crois, que nous devons composer avec la mort, ne pas l’occulter, mais ne pas en faire notre principal sujet de préoccupation non plus. Autre phrase, extraite du journal de Marie Lenéru, qui m’a particulièrement touché : « Ailleurs, les hommes sont enfouis ; il n’y a que près de la mer qu’on remonte à la surface. » C’est tellement vrai en ce qui me concerne !
J’aime la Bretagne ouverte sur le monde, cette pointe de granit avec sa truffe plantée dans le cul de l’océan, ses beautés sauvages et sa saine fierté, ses poètes, ses créateurs et ses aventuriers. Par contre, je déteste cette autre Bretagne trafiquée, dégradée, crétinisée, labellisée, accaparée par une poignée de trous du cul, théoriciens et rhéteurs fous, nostalgiques d’une époque fort heureusement révolue. Une Bretagne recroquevillée sur elle-même, allergique à toute forme d’accueil et de partage, c’est ça le problème !»

C comme Celtitude


« Ouais, « la celtitude ! », tu trouves pas ça un peu ridicule, toi ? Moi, si ! Tous ces gugusses qui se revendiquent issus des Celtes et en tirent une certaine fierté malsaine, c’est vraiment naze ! Pourquoi pas se prétendre fils de Huns, de Visigoths, d’Ostrogoths ou d’autres peuplades nomades qu’ont ratissé l’Europe en ces périodes fort reculées de notre histoire humaine ? Trop barbares sans doute, ces ancêtres-là. Les Celtes, un peuple éclairé et culturé, c’est quand même plus classe qu’une horde de va-nu-pieds abrutis et sanguinaires !
Ce qui m’emmerde aussi dans tout ça, c’est l’exploitation qui en est faite, le business florissant autour de cette pseudo-culture celtique. Le truc bien torché-empaqueté pour attirer le gogo vacancier, à chier !
En plus, pour certains fragiles du bulbe il s’agit de race, sous des abords culturels bon enfant, encore plus pernicieux et malsains ! Si t’es pas Celte, t’es une merde ! On a déjà entendu ce refrain scandé par des mecs qui défilaient bras levé pour saluer une certaine fierté aryenne. Gaffe, je te dis, faut faire gaffe ! »