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Jacques Josse

D’une rencontre parmi d’autres.

D’étranges braises couvent dans ses yeux. Il regarde au loin. Reste assez silencieux. Près de lui, Le Bayon s’active à peine. Il gueule quand même après les mouettes, histoire d’essayer d’enrayer le concert. Je les suis à distance. Les ai laissés prendre un peu de champ. Je suis avec eux à Belle-Île pour une semaine. On a passé une bonne partie de la nuit précédente dans la boulangerie à Momo qui bossait au fournil avec ses frères et vers quatre heures du matin, travail terminé, si mes souvenirs sont exacts, on a dû déboucher une bouteille de Muscadet et déguster des croissants chauds sur un bout de table en ferraille…
Je ne réussis à expliquer pourquoi, mais quand j’essaie de revivre au ralenti certaines de mes rencontres avec Alain, lui que j’ai connu grâce à un bon de commande inséré dans la revue « Vrac » (que j’avais rempli et expédié à son adresse fin des années 70 de façon à me procurer La suie-robe des sentiers suicidaires) c’est toujours celle-ci qui rapplique. Peut-être parce que depuis Momo est mort (happé par une vague alors qu’il pêchait sur un rocher aux abords de l’île) et que je n’ai jamais su remettre mes pas en marche dans ces parages, au beau milieu de l’Atlantique… Je ne sais pas. En tout cas, la scène revient et déboule sans cesse, à l’improviste, entortillée là-haut à la manière de ces volutes de fumée qui traînent en spirales, de la table au plafond (à la fin il n’en reste bien sûr qu’une seule) dans un bar de préférence puisque c’est là que l’on aime se réfugier pour sécher nos (déjà presque) vieilles peaux…

Jacques Josse

Helyett Bloch

J'ai connu Alain Jegou dans les années soixante-dix. Je co-animais avec Ghislain Ripault la revue "Barbare" et ses inéditions, notre "Chronique du vécu" de cette époque. De nombreuses années plus tard, aventures et fil du temps m'ont ramenée vers la création de la revue "Epistoles de montagne" et de ses éditions. Ce travail éditorial, survivant provisoire dans son monde verboyant, a tenu près d'une dizaine d'années sans chercher à concourir avec la prestance des beaux-objets poncés sur les bancs des Hautes Etudes Commerciales. Naturellement, Epistoles a reçu ses écrits à pages ouvertes.
Frère de vent à l'instinct du verbe, Alain et quelques autres ont contribué à ce goût prononcé qui est mien, du partage de la lecture vive. Embarqués sur sa route de " bourbouillances", nous sommes un vrai ban de lecteurs à bord et par-dessus bord , lisant cette langue déliée et rebelle, ces longs poèmes au risque libre d'homme engouffré par la mer.
Nous nous sommes croisés lors des rencontres poétiques de Rochefort sur Loire, il y a quelques années. Cet écrivain porte l'écume de ses textes sur son visage dont j'aime les mouvements charriant une vérité qui ne trompe pas, sa passion d'être vivant.

Helyett Bloch, janvier 2009

Ghislain Ripault

Jégou le Véhément

« Les mots sanglants comme des bateaux blessés sur une mernoire. »

Breyten Bretenbach

Alain Jégou est le seul poète de cette trempe que je connaisse – ce n’est pas froufrou de musette que de dire qu’il affronte les éléments ! Il l’a fait pendant ses années de camaraderie houleuse, pêcheur et capitaine d’un Ikaria sans complaisance avec les Glénan et l’île d’Yeu, comme il reste sur le pont du bateau-swing des mots, toujours le cœur en tempête, à purger l’avarie ou l’avanie. Car l’homme ne fait point relâche quand il tangue sur la terre dite ferme : la combine n’est pas son style, les accommodements non plus, à l’exemple de ses amis brûleurs de toutes sortes de durs depuis des siècles. De Villon, Jehan Rictus à Léo Ferré, Jim Morrison, John Trudell, Kerouac, avec une mention spéciale à Claude Pélieu en mémoire duquel il a coordonné un livre-choral. Sans oublier les Indiens d’Amérique du Nord, les auteurs de romans noirs et autres bourlingueurs des bas et hauts fonds... Tous « gens comme d’océan », ces chahuteurs de syntaxe, frayeurs de passages lyriques au vif, sont prompts, dirait-il, à dévioquer la phrasure, empenner d’éclats la parlerie sur le rafiot Poésie : « L’indomptable désir/ qui fait mouvoir les formes/ et les pensées saillir. » Jusqu’à l’os des disparus, sculpté en fronde, qui vaut poussière d’étoiles.

Ghislain Ripault, 23 novembre 2008

Fritz Werf

J’ai fait la connaissance du poète Alain Jégou en 1992, lors de l’édition de l’anthologie bilingue POESIE EN/DER BRETAGNE et la première lecture de ses poèmes m’a convaincu de son écriture authentique, dans laquelle il n’y a rien de « bretonnant », quoique cet auteur soit enraciné dans son pays et reste lié au grand large - tous les deux nourrissent sa poésie, décident des images-métaphores et rythmes de ses vers dont l’influence de « l’underground américain » est indéniable – Alain Jégou est un poète universel. Ses poèmes concis, riches en trouvailles linguistiques et pleins d’un sens de la musique « staccato » sont difficiles à traduire. Je l’ai constaté en traduisant OMBRES FURTIVES/FLÜCHTIGE SCHATTEN (2003), son style particulier ne permet que des valeurs approximatives. Rigoureux en ce qui concerne ses pensées rebelles et son travail littéraire, Alain Jégou est tendre et fidèle envers ses amis ; il a le don de l’amitié fraternelle.


Fritz Werf, poète et animateur des éditions AVA ( Atelier Verlag Andernach).
A traduit en langue allemande et publié deux recueils d’Alain Jégou : ABTRIFT/DERIVE en 1996 et FLÜCHTIGE SCHATTEN/OMBRES FURTIVES en 2003.

Bruno Geneste

J’ai découvert la poésie d’Alain lorsque je dirigeais les éditions Blanc Silex. Immédiatement, je me suis plongé dans plusieurs de ces ouvrages : comme du vivant d écume, Totem d’ailleurs, etc. Il y avait là une parole vive et sans concession, une manière de dire et d’inventer, une approche singulière du réel. Il est vrai que je suis né dans une famille de marin et que j’ai moi-même, un jour, faillit prendre le large. C’est donc un peu de moi que je trouve dans l’œuvre d’Alain. Une dimension de cette errance océanique, cette lutte contre les éléments, loin de cette littérature tournant autour d’elle-même comme des mouches autour d’une lampe. Cette rugosité présente dans la plupart de ces textes, ce frottement et roulement des tumultes, cette rage de vaincre l’absurdité faîte pour bousculer les idées reçues, secouer les consciences et donner en envie d’être libre !

Bruno Geneste

Emile Hemmen

"Rencontrer le poète Alain Jégou c’est découvrir un homme qui respire l’humain et la fraternité et qui sait dire « non », d’une manière à la fois farouche et obstinée, aux lâchetés et aux facilités ambiguës de la vie. Je n’oublierai jamais les moments intenses et enrichissants que j’ai partagés avec Alain au Fort-Bloqué, à Belle –Ile –en- mer et au Luxembourg.

C’est grâce à lui que les auteurs bretons ont fait l’objet d’un dossier paru dans le numéro 27 de la revue culturelle luxembourgeoise « Estuaires ». Et c’est encore une fois Alain qui nous a permis de présenter l’artiste – peintre Georges Le Bayon ainsi que Claude Pélieu, poète proche du mouvement beatnik, aux lecteurs de notre revue dont il était, pendant de longues années, un correspondant fidèle et un collaborateur engagé.

Pour Alain, la poésie est une façon d’habiter l’existence, de donner voix à la vie. Une écriture qui rend tout aussi bien compte de la beauté que de la lancinante laideur de notre monde. Une leçon de sincérité férocement exprimée et férocement vécue. Un homme, un poète qui refuse tout effet de complaisance. Une parole qui s’apparente à un acte de résistance, avec une disponibilité toujours en éveil."

Emile, Hemmen est responsable des éditions Estuaires (Luxembourg)


Benoît Delaune

"J’ai rencontré Alain Jégou sous le signe de ce grand Voyant qu’était Claude Pélieu. Nous avons sympathisé rapidement, autour d’une grande expo lorientaise consacrée aux collages de Claude Pélieu & Mary Beach. J’ai vraiment découvert la poésie d’Alain à ce moment-là. Quoiqu’il en dise lui-même, Alain Jégou est un grand poète, de la trempe de Tristan Corbière ou d’Antonin Artaud. Sa poésie, depuis « Vivisection » (ce titre déjà ! superbe, fou, éblouissant) estbaséesur un flot verbal-fil ténu, une langue toujours à la limite de la rupture, ce fameux « flow » dont les musiciens hip-hop pensaient avoir été les premiers à l’avoir défini. Il FAUT faire l’expérience, lire d’une seule traite des livres comme « Juste de passage », « QUI contrôle la situation », ou (mon préféré) ce petit livre énigmatique, aux échardes verbales magnifiques, d’une ténèbre aussi sombre que sa couverture est immaculée, « Jusqu’à l’aube par effraction » (un sacré p….. de titre encore !). Devant de tels textes, on est toujours surpris, lecture après lecture, par ces édifices si frêles en apparence, qui semblent ne tenir qu’à un mince fil mais qui réussissent, dans un fier retournement, un chiche ! culotté et un tantinet branleur, à s’imposer comme de solides gaillards, des bonnes tranches barbaquées à vif par ce grand Frère de la Côte qu’est Alain Jégou."

Béatrice Machet

"J'ai rencontré Alain Jegou sur la piste des larmes. Entre pays Cherokee volé et déportation vers l'Oklahoma. Un livre de lui a suffi pour me persuader d'avoir en lui un frère, comme moi métissé de rouge. Nous nous sommes reconnus à travers un courrier abondant.

J'ai vu Alain Jegou au Fort Bloqué, d'intimidé à chaleureux. Puis à Lorient sur son rafiot, la carcasse fatiguée par ce putain de métier inhumain ...mais il n'en aurait pas voulu d'autre!

je l'ai vu soulagé d'avoir trouvé un digne successeur pour l'Ikaria, content d'envisager avoir plus de temps pour écrire.

Une autre fois encore je l'ai rejoint dans une chapelle sur la lande pas loin de la pointe du Couregan, alors qu'il poussait sa goualante devant un public envoûté par les sons de la harpe celtique .... J'ai compris qu'en Alain Jegou y'avait tout l'océan. Tous les océans. Des rouleaux de tendresse et de chaleur humaine, des tempêtes furieuses des profondeurs abyssales, des courants froids, des courants chauds, des marées saisonnières ou quotidiennes, les alizés, les icebergs, les lagons, ...

Et puis comme l'air résigné parfois, mais toujours les yeux pétillent, et puis l'allure du goéland parfois, dont les ailes de géant l'empêchent de marcher,…

Alain Jegou, c'est le totem de ma tribu."

Béatrice Machet


Emmanuelle Le Cam

A propos de Totems d’ailleurs, éditions Le Dé bleu, 1991.

Bien loin des idées convenues et des pesanteurs du trop conforme, la poésie d’Alain Jégou se fraie un chemin d’écume, en quête de « l’inaccessible de soi ». Emouvances océanes et charnelles, hymne à la ville, Lorient la blanche, « Lorient la fille à matafs », Lorient « échappée du naufrage »... « Il frêle de l’étrave dans le moisi des temps », et un lyrisme contemporain et salvateur balaie les mesquineries terriennes. Les membres se fièvrent et se tendent pour pénétrer le grand corps de la mer, « quand la nuit crisse/sous la lame de l’œil ».

Lorgner les étoiles, qui froissent l’âme, les éborgner aussi, joyeux compère du temps qui passe, faire étinceler les plumards de passage, boire irlandais au comptoir fugace, tutoyer l’infinie partance à bord du chalutier l’Ikaria, à la haute voltige de la mer demeurer fidèle... « un assemblage de vie/sauvage » somme toute. Et l’écriture au cœur bien sûr, « des gorgées de mots incubent le silence », guide et donne sens au grand chambardement des sens.

Vivre comme on brûle. Malgré « l’indigo des plaies », être enfin total, liberté portée large autour du cou.

Emmanuelle Le Cam

Saïd Mohamed

Alain Jégou, alias le Cap’tain

J’ai eu la chance de partir en pêche un jour avec lui. Un jour de mer d’huile, par une belle nuit de septembre. Je dis nuit parce que lorsqu’on s’est levé pour se rendre au port, il n’y avait pas un chat sur les routes. Peut-être une voiture croisée entre le Fort bloqué et Lorient. Ce n’est qu’arrivé dans le port, sur la jetée éclairée aux néons de sodium qu’on a vu des hommes. Plutôt des ombres qui s’agitaient et se saluaient machinalement d’un geste de la main. Ça m’a fait penser aux gladiateurs dans l’arène saluant César, « ceux qui vont mourir te saluent »… Pas de paroles, à quoi ça sert de causer dans ces cas là… Chacun sait ce qu’il doit faire.
La radio grésille. Le moteur démarre. Lentement on s’avance dans la passe, pour que le diesel chauffe, suivi par une ribambelle d’autres tandis que d’autres nous précédent. Une sorte de procession s’avance sur la flaque d’huile noirâtre. Quelques vannes échangées entre pilotes…
Les deux matelots sont descendus dormir dans la couchette pendant que le Cap’tain a mis le cap sur les filets posés la veille.
Ils en auront levé des filets ce jour là ! Et posé autant d’autres. Pareil que d’habitude. Pour pas grand-chose. La mer trop calme n’avait pas donné ses fruits.
On n’a pas parlé littérature ce jour-là, ça aurait été déplacé. Il n’était pas là pour ça, le Cap’tain mais pour travailler. Et moi là, dans ces 10 mètres carrés, je ne pouvais que regarder, que voir, qu’essayer de comprendre ce qu’il trouvait de bien à sa foutue vie de loup de mer… Pourquoi ça fait bander ces types de risquer leur carcasse chaque jour dans ce merdier ? Alors qu’ils seraient bien mieux en banlieue parisienne au chaud dans un tunnel en train de conduire une rame de métro. Assuré du salaire et de l’horaire.
Décidément ces types sont d’une autre race. J’ai retrouvé chez les paysans du haut Atlas qui survivent dans des conditions de dénuement total cette fierté sans nom, qui semble dire : plutôt crever debout que vivre à genoux…

Saïd Mohamed

Muepu Muamba

Quelque lumière discrètement dans les yeux. Il y avait chez lui, la première fois que ma femme et moi l’avons rencontré, une sorte de retenu qui n’était pas de l’indifférence. C’était à l’occasion d’une lecture organisée au Luxembourg, par nos amis de la revue Estuaires. Nos textes s’y étaient déjà croisés. Alain était assis de l’autre côté de la table, presque en face de moi. Je fus surtout frappé par son visage, son regard buriné m’a fait penser à une plante de mers du sud. S’y illuminait une lumière qui ne trompe pas, cette réserve ouverte d’attente de vraie rencontre. La nôtre se fut sans préliminaire. De cet homme ne pouvait naître que des sentiments qui s’enracinent dans la profondeur généreuse du baobab. La gouaille de ses mots nous avait atteints, ma femme et moi. Des mots taillés dans l’embrun des océans.

Alain Jégou avec Muepu Muamba

Dès ce jour est née une amitié qui n’est pas seulement littéraire. Mais un partage de combats, d’engagements commun. Un même regard critique sur notre monde empêtré dans le mensonge et la mauvaise foi. Et puis Marie-Paule qui nous a accueillis dans sa maison de Ploemeur comme des amis de longue date, des amis de toujours. Un tel enthousiasme, une telle générosité se révèle jusque dans les semences de mots d’où surgit le poète comme un filon de feu de tendresse, défriche d’irrévérence haletée d’avenir face à l’abject.

Dès ce jour-là, je savais qu’à n’importe quel moment, je pouvais capter ce skipper de l’esprit. Qui veut aller loin doit s’adjoindre toujours un ami. Ensemble, nous essayons d’aller loin, très loin au son de chaque jour, dans cette petite durée, à nous impartie. Ne respectant que l’amitié et la splendeur de la vie.

Muepu Muamba

Lutz Stehl

Fort intérieur

Les mots d’Alain Jégou sont, malgré leur richesse, des messages de morse échoués sur la côte. Grâce à ces mots-messages qu’on apprend à décrypter, avec lui, grâce à lui, on apprend à regarder le large. D’un seul coup ou lentement, vague après vague, objet par objet, ce large géographique approché et scruté grâce aux mots, devient le vrai large : un paysage intérieur inconnu. Un infini. C’est en le regardant qu’on apprend un certain emploi de la vue et que l’on se reconnaît dans une vision. Le sens des mots, tirés des choses, est délibérément fraternel. Il se retrouve dans les moindres détails, ceux qui feignent d’être insignifiants. Et le sens du large propre à Alain ne se résume pas à ce que la vue donne à voir depuis les points fixes de la terre ferme, de celle qui est bien à terre. Mouvance est le sens profond de la poésie d’Alain Jégou. L’horizon où il pêche les mots pour approcher et cerner les choses est une métaphore.
Dans leur « for intérieur », les violences verbales recherchées d’Alain Jégou, ses trouvailles lexicales, les belles torsions qu’il n’inflige pas seulement au verbe font naître tout un univers poétique qui vit de la suggestion et d’évocations qui interpellent le lecteur par la valeur musicale autant des allusions que, il faut le rappeler, des mots souvent très directs d’Alain. Dans « son for intérieur », cette écriture est le reflet des paysages qu’il côtoie. Et elle aspire peut-être à cela : que la part d’identité et d’appartenance à la Bretagne, la sienne, soit partagée, sans pompe marine, avec ceux qui éprouvent pour ce pays la même affection. Sa poésie fait émerger tant de lieux, vrais et fictifs, surtout ceux qui sont près de la mer ou face à la mer et qui ont les yeux, pour ainsi dire, rivés sur elle, même si, par humeur géographique, quelques-uns de ces lieux tournent le dos à la mer. Alain Jégou est resté homme de mer – et, même à terre, il est toujours en mer. Et les mots, des mots justes pour saisir ce qui est fugace, aiment venir s’échouer près de lui …..

Lutz Stehl,
Kandel (Allemagne) – Fort Bloqué