Blog consacré à l’œuvre poétique d'Alain Jégou par Pascal Thibault, bibliothécaire
Passe Ouest
Totems d'ailleurs
Un ciel nous enlumine dans la tiédeur
d'un matin d'été. les mots sont simples
qui dévalent, se dévoilent ou s'écoulent
avec fièvre et ferveur des reflets, des tein-
tes, des paysages, qui nous environnent.
D'une île qu'il nous est permis d'étrein-
dre, pleurèquent les champs et nostalgient
des senteurs trop vite évaporées, enfuies,
enfouies, dans les vapeurs d'échappe-
ments qui meurent nos saisons froides.
Des espaces où nous fûmes qu'il nous
est permis de caresser encore et encore du
regard et de l'espoir.
Les sens s'ébouriffent et l'imaginaire
adhère au rituel d'un spectacle d'une gran-
diose simplicité, au délit de vie paisible, au
défi de lumière qui s'offre, au délire d'une
nature seconde microcosme de sa création
et de sa créativité latente. ....
A Lance Henson
Le nuit froide fait éclater
siagner les gerçures
de la terre-mère
la lune du peyotl
aguiche nos regards
bizarrement boutiqués
dans le Renault Master Rock and Roll
Jim Morrison espère plumer son cafard
en enterrant sa hache de guerre
Entre Carhaix et Lorient
la campagne est livide
solitaire et glaciale
aucun phare ni fanal
aucune loupiote amène
pas même un feu follet
déconnant tout son soûl
pour égayer la lande
rien que nous et le diesel
pour trouer le silence
fendre la bise barbare
et câliner l'asphalte
"Hey brother ! Are you OK ? "
...
Baie du Pouldu
entre les cailloux noirs. Cabotage de hasard. Les varechs,
sargasses, laminaires, ondulent dans les frêles rayons de lune.
Les chenaux sont étroits, rares les gougnelles, taches claires
et clairesemées dans toutes cette noirceur. La coque tâtonne,
frôle, hésite, divague de bouée à bouée. L'étrave parlemente,
chicane, marchande, revendique, puis négocie son droit de
passage avec la marée. Les feux de la côte, on pourrait pres-
que les toucher. Lampadaires, phares de voitures, lustres et
nostalgies qu'ils engendrent. La terre vit sa nuit. Le destin
qui le pousse au cul contraint le navire à s'éloigner. Hors les
passes, gagner le large où fremit l'autre rive. Gaffe au juger !
La sournoiserie fatale attend l'erreur qui permettra à la roche
de s'empiffrer de bande molle et de bordés résignés.
Interview d'Alain Jégou
Port de Doëlan : Interview d'Alain Jégou par les jeunes de l'Atelier relais de Quimperlé
Jacques Josse
D’étranges braises couvent dans ses yeux. Il regarde au loin. Reste assez silencieux. Près de lui, Le Bayon s’active à peine. Il gueule quand même après les mouettes, histoire d’essayer d’enrayer le concert. Je les suis à distance. Les ai laissés prendre un peu de champ. Je suis avec eux à Belle-Île pour une semaine. On a passé une bonne partie de la nuit précédente dans la boulangerie à Momo qui bossait au fournil avec ses frères et vers quatre heures du matin, travail terminé, si mes souvenirs sont exacts, on a dû déboucher une bouteille de Muscadet et déguster des croissants chauds sur un bout de table en ferraille…
Je ne réussis à expliquer pourquoi, mais quand j’essaie de revivre au ralenti certaines de mes rencontres avec Alain, lui que j’ai connu grâce à un bon de commande inséré dans la revue « Vrac » (que j’avais rempli et expédié à son adresse fin des années 70 de façon à me procurer La suie-robe des sentiers suicidaires) c’est toujours celle-ci qui rapplique. Peut-être parce que depuis Momo est mort (happé par une vague alors qu’il pêchait sur un rocher aux abords de l’île) et que je n’ai jamais su remettre mes pas en marche dans ces parages, au beau milieu de l’Atlantique… Je ne sais pas. En tout cas, la scène revient et déboule sans cesse, à l’improviste, entortillée là-haut à la manière de ces volutes de fumée qui traînent en spirales, de la table au plafond (à la fin il n’en reste bien sûr qu’une seule) dans un bar de préférence puisque c’est là que l’on aime se réfugier pour sécher nos (déjà presque) vieilles peaux…
Jacques Josse
Helyett Bloch
Frère de vent à l'instinct du verbe, Alain et quelques autres ont contribué à ce goût prononcé qui est mien, du partage de la lecture vive. Embarqués sur sa route de " bourbouillances", nous sommes un vrai ban de lecteurs à bord et par-dessus bord , lisant cette langue déliée et rebelle, ces longs poèmes au risque libre d'homme engouffré par la mer.
Nous nous sommes croisés lors des rencontres poétiques de Rochefort sur Loire, il y a quelques années. Cet écrivain porte l'écume de ses textes sur son visage dont j'aime les mouvements charriant une vérité qui ne trompe pas, sa passion d'être vivant.
Helyett Bloch, janvier 2009
Ghislain Ripault
« Les mots sanglants comme des bateaux blessés sur une mernoire. »
Breyten Bretenbach
Alain Jégou est le seul poète de cette trempe que je connaisse – ce n’est pas froufrou de musette que de dire qu’il affronte les éléments ! Il l’a fait pendant ses années de camaraderie houleuse, pêcheur et capitaine d’un Ikaria sans complaisance avec les Glénan et l’île d’Yeu, comme il reste sur le pont du bateau-swing des mots, toujours le cœur en tempête, à purger l’avarie ou l’avanie. Car l’homme ne fait point relâche quand il tangue sur la terre dite ferme : la combine n’est pas son style, les accommodements non plus, à l’exemple de ses amis brûleurs de toutes sortes de durs depuis des siècles. De Villon, Jehan Rictus à Léo Ferré, Jim Morrison, John Trudell, Kerouac, avec une mention spéciale à Claude Pélieu en mémoire duquel il a coordonné un livre-choral. Sans oublier les Indiens d’Amérique du Nord, les auteurs de romans noirs et autres bourlingueurs des bas et hauts fonds... Tous « gens comme d’océan », ces chahuteurs de syntaxe, frayeurs de passages lyriques au vif, sont prompts, dirait-il, à dévioquer la phrasure, empenner d’éclats la parlerie sur le rafiot Poésie : « L’indomptable désir/ qui fait mouvoir les formes/ et les pensées saillir. » Jusqu’à l’os des disparus, sculpté en fronde, qui vaut poussière d’étoiles.
Ghislain Ripault, 23 novembre 2008