Puisqu'elle tempête pour nous

Ecoutez ce poème lu par Alain Jégou
Cocktail barbare (CD), 2001
Poème publié dans Kerouac City Blues

Passe Ouest

A chacun sa zone d'ombre. A chacun sa dose de silen-
ces, de reserve et de repli, son lot de sentiments troublants
ou accablants, son jardin ou son cloaque secret. A chacu,
son Eden ou son Enfer, son univers de mots, d'images et
de pensées sauvages. A chacun ses mrsures, morflures
et éraflures. A chacun ses pulsions, passions et vibrations.
A chacun sa déprime ou son fantasque élan.
...
Une ondée martèle l'océan, aussi bruyante, intempestive
que les semelles ferrées d'un canasson égaré sur le zinc d'un
bistringue au décor suranné.
Les gouttes, lourdes et rondouillardes, explosent au
contact de l'onde et giclent en milliers de bulles cristallines
sur le miroir figé. Certaines s'éclatent, dégoulinent sur nos
visages, puis s'immiscent lascives dans nos cols pour s'aller
réfugier loin entre la peau et la toile rêche des cirés.
...
Passe Ouest

Opaque

Totems d'ailleurs

à Belle-île
à Georges Le Bayon

Un ciel nous enlumine dans la tiédeur
d'un matin d'été. les mots sont simples
qui dévalent, se dévoilent ou s'écoulent
avec fièvre et ferveur des reflets, des tein-
tes, des paysages, qui nous environnent.

D'une île qu'il nous est permis d'étrein-
dre, pleurèquent les champs et nostalgient
des senteurs trop vite évaporées, enfuies,
enfouies, dans les vapeurs d'échappe-
ments qui meurent nos saisons froides.

Des espaces où nous fûmes qu'il nous
est permis de caresser encore et encore du
regard et de l'espoir.

Les sens s'ébouriffent et l'imaginaire
adhère au rituel d'un spectacle d'une gran-
diose simplicité, au délit de vie paisible, au
défi de lumière qui s'offre, au délire d'une
nature seconde microcosme de sa création
et de sa créativité latente. ....

Totems d'ailleurs

A Lance Henson

janvier-février 1998

Le nuit froide fait éclater
siagner les gerçures
de la terre-mère
la lune du peyotl
aguiche nos regards
bizarrement boutiqués
dans le Renault Master Rock and Roll
Jim Morrison espère plumer son cafard
en enterrant sa hache de guerre

Entre Carhaix et Lorient
la campagne est livide
solitaire et glaciale
aucun phare ni fanal
aucune loupiote amène
pas même un feu follet
déconnant tout son soûl
pour égayer la lande
rien que nous et le diesel
pour trouer le silence
fendre la bise barbare
et câliner l'asphalte

"Hey brother ! Are you OK ? "

...
Quimper est poésie

Baie du Pouldu

Sombre est la nuit. La lassitude aussi. Le coeur louvoie
entre les cailloux noirs. Cabotage de hasard. Les varechs,
sargasses, laminaires, ondulent dans les frêles rayons de lune.
Les chenaux sont étroits, rares les gougnelles, taches claires
et clairesemées dans toutes cette noirceur. La coque tâtonne,
frôle, hésite, divague de bouée à bouée. L'étrave parlemente,
chicane, marchande, revendique, puis négocie son droit de
passage avec la marée. Les feux de la côte, on pourrait pres-
que les toucher. Lampadaires, phares de voitures, lustres et
nostalgies qu'ils engendrent. La terre vit sa nuit. Le destin
qui le pousse au cul contraint le navire à s'éloigner. Hors les
passes, gagner le large où fremit l'autre rive. Gaffe au juger !
La sournoiserie fatale attend l'erreur qui permettra à la roche
de s'empiffrer de bande molle et de bordés résignés.

Interview d'Alain Jégou


Port de Doëlan : Interview d'Alain Jégou par les jeunes de l'Atelier relais de Quimperlé

Jacques Josse

D’une rencontre parmi d’autres.

D’étranges braises couvent dans ses yeux. Il regarde au loin. Reste assez silencieux. Près de lui, Le Bayon s’active à peine. Il gueule quand même après les mouettes, histoire d’essayer d’enrayer le concert. Je les suis à distance. Les ai laissés prendre un peu de champ. Je suis avec eux à Belle-Île pour une semaine. On a passé une bonne partie de la nuit précédente dans la boulangerie à Momo qui bossait au fournil avec ses frères et vers quatre heures du matin, travail terminé, si mes souvenirs sont exacts, on a dû déboucher une bouteille de Muscadet et déguster des croissants chauds sur un bout de table en ferraille…
Je ne réussis à expliquer pourquoi, mais quand j’essaie de revivre au ralenti certaines de mes rencontres avec Alain, lui que j’ai connu grâce à un bon de commande inséré dans la revue « Vrac » (que j’avais rempli et expédié à son adresse fin des années 70 de façon à me procurer La suie-robe des sentiers suicidaires) c’est toujours celle-ci qui rapplique. Peut-être parce que depuis Momo est mort (happé par une vague alors qu’il pêchait sur un rocher aux abords de l’île) et que je n’ai jamais su remettre mes pas en marche dans ces parages, au beau milieu de l’Atlantique… Je ne sais pas. En tout cas, la scène revient et déboule sans cesse, à l’improviste, entortillée là-haut à la manière de ces volutes de fumée qui traînent en spirales, de la table au plafond (à la fin il n’en reste bien sûr qu’une seule) dans un bar de préférence puisque c’est là que l’on aime se réfugier pour sécher nos (déjà presque) vieilles peaux…

Jacques Josse

Helyett Bloch

J'ai connu Alain Jegou dans les années soixante-dix. Je co-animais avec Ghislain Ripault la revue "Barbare" et ses inéditions, notre "Chronique du vécu" de cette époque. De nombreuses années plus tard, aventures et fil du temps m'ont ramenée vers la création de la revue "Epistoles de montagne" et de ses éditions. Ce travail éditorial, survivant provisoire dans son monde verboyant, a tenu près d'une dizaine d'années sans chercher à concourir avec la prestance des beaux-objets poncés sur les bancs des Hautes Etudes Commerciales. Naturellement, Epistoles a reçu ses écrits à pages ouvertes.
Frère de vent à l'instinct du verbe, Alain et quelques autres ont contribué à ce goût prononcé qui est mien, du partage de la lecture vive. Embarqués sur sa route de " bourbouillances", nous sommes un vrai ban de lecteurs à bord et par-dessus bord , lisant cette langue déliée et rebelle, ces longs poèmes au risque libre d'homme engouffré par la mer.
Nous nous sommes croisés lors des rencontres poétiques de Rochefort sur Loire, il y a quelques années. Cet écrivain porte l'écume de ses textes sur son visage dont j'aime les mouvements charriant une vérité qui ne trompe pas, sa passion d'être vivant.

Helyett Bloch, janvier 2009