K comme Kerouac

« L’un de mes plus grands regrets est de ne pas avoir croisé le chemin de Kerouac lors de sa venue en Bretagne ! 1965, c’est en plus l’année où j’ai découvert Sur la route et l’existence de cet auteur amerloque dont le phrasé allait chambouler mon jeune cerveau et mettre définitivement au rencard toute la littérature aseptisée dont les bons maîtres nous avaient encombrés au fil des années ! J’avais pris la beigne magistrale en lisant Rimbaud et Corbière, et Kerouac arrivait avec son beat déjanté pour achever le boulot entamé par ses deux aînés. Une telle rencontre à 17 ans, ça te marque pour le restant de tes jours !
Oui, le grand Youenn a eu cette chance de devenir pote avec Kerouac. Il a travaillé plusieurs années à New York et est allé voir Jack lorsqu’il habitait avec sa mère et sa femme Stella, à Hyannis, Massachusetts. Jack fut tout de suite séduit par ce grand gaillard de Breton. Il avait enfin trouvé quelqu’un avec qui parler de la « petite Bretagne », à qui poser toutes les questions qui lui taraudaient l’esprit depuis sa plus tendre enfance, depuis le jour où son père lui avait dit : « Ti Jean, n’oublie jamais que tu es Breton. » Jack était au trente-sixième dessous à l’époque où Youenn était venu le voir à Hyannis et cette rencontre fut certainement une balèze bouffée d’oxygène pour lui.
J’ai effectivement commis un court texte intitulé Jack Kerouac et la Bretagne, publié en 2002 par les éditions Blanc Silex, dans la superbe petite collection Bretagne, terre écrite, que dirigeait Marc Le Gros. Certains m’ont, par médias interposés, fait le reproche de ne rien leur apprendre de nouveau sur Kerouac. Ca n’a jamais été mon ambition et je l’explique clairement au début du livre. Qu’est-ce qu’ils voulaient que je leur apprenne, ces cons ? Dis-moi un peu, toi qui connais son œuvre aussi bien que moi, qu’est-ce qu’on pourrait bien trouver de nouveau à dire sur Kerouac, après la flopée de bouquins qui lui ont été consacrés ? »

B comme Beatniks

« J’ai toujours été un môme barré, rêveur, idéaliste, à fleur de tripes, tares sans doute dues aux fées bretonnes un peu pompettes penchées sur mon berceau le jour de ma naissance. Déjà tout jeunot, j’ai toujours eu un faible pour les marginaux, les aventuriers, tous ces êtres qui ont mené leur vie hors des clous, sans calculs, ni jamais se soucier de la « normalité ». Qu’ils soient porteurs d’une œuvre ou pas, ce sont ceux-là qui m’ont toujours paru les plus dignes d’intérêt.
Je me souviens d’une rencontre faite au tout début des années 1960. Je devais avoir une quinzaine d’années. J’étais à Berlin avec ma mère et une amie à elle. Nous nous baladions près des ruines de la cathédrale, lorsque je découvris une petite bande de zonards, cinq ou six mecs à cheveux longs et deux ou trois filles loufoquement fringuées, qui chantaient en grattant leurs guitares, soufflant dans des harmonicas ou tapant sur des tambourins. Ma première rencontre avec les « beatniks » ! J’ai tout de suite trouvé ça génial et me suis dit qu’il fallait absolument que j’apprenne à jouer de la guitare. Le lendemain, j’ai assisté dans le même quartier, à la terrasse d’une taverne, à un mini-concert d’un orchestre folklorique bavarois. L’idée ne m’a pas un seul instant effleuré d’apprendre à jouer du piston ou de la grosse caisse. J’avais eu la révélation, c’était « beatnik » que je voulais faire quand j’serais grand !
C’est au lycée que j’ai découvert Kerouac et les poètes de la Beat. « On the road », la grande beigne dans le bulbe ! Après Rimbaud, Corbière, Cendrars… un frangin de plus m’accompagnerait tout au long de mon chemin d’humain. Ces écrivains ont bouleversé mon existence, mais y’avait sans doute déjà quelque chose, une espèce de virus chopé à la naissance. J’ai trouvé dans leurs œuvres matière à encourager et attiser la petite flamme qui cramait déjà en moi. »

C comme Claude Pélieu

« Claude est et restera à jamais le poète qui m’a le plus marqué et influencé. Sans lui, sans la découverte de ses bouquins, comme Jukeboxes et Tatouages mentholés… puis son Journal blanc du hasard, mon écriture aurait certainement été toute différente de ce qu’elle est aujourd’hui.
J’ai d’abord connu Claude par ses livres, ceux publiés en édition de poche, chez 10/18 – un des rares poètes publiés directement en édition de poche – puis ceux de chez Bourgois et le gros Cahier de l’Herne : Burroughs, Pélieu, Kaufman.



On s’est ensuite côtoyés dans quelques revues et anthologies, comme le Star Screwer de Bernard Froidefond repris par Lucien Suel dans les années 80, ou Le Nouveau Réalisme, une anthologie réalisée par Jacques Donguy pour la collection Poésie 1 des éditions Saint-Germain-des-Prés, ou encore La Nouvelle poésie française par Bernard Delvaille chez Seghers.
Je suivais les publications de Claude et achetais tous ses bouquins dès leur sortie, aussi ses traductions des poètes de la Beat pour Bourgois. J’ai souvent eu envie de le contacter, mais n’ai jamais vraiment cherché à obtenir son adresse. Retenu par une espèce de timidité à la con ! C’était vraiment idiot, car on aurait pu gagner une bonne vingtaine d’années de chouette complicité.


Ça n’est qu’en 1997 que je lui ai écrit, après avoir obtenu son adresse par l’intermédiaire de Lucien Suel, pour lui demander de participer à l’ouvrage collectif La Grande Table que je préparais avec Hervé Merlot pour les éditions La Digitale. Claude m’a tout de suite répondu et on est devenus rapidement potes. Il connaissait mon écriture pour m’avoir lu dans les revues et anthologies où nous figurions souvent ensemble.


Lettre de Calude Pélieu à Alain Jégou



Je suis allé le voir à deux reprises à Norwich, en 1998 puis en 2000. Il était déjà bien malade et morflait terriblement ! Pourtant il continuait à déconner et faire le pitre. Claude était un grand môme qui planquait ses blessures et souffrances derrière un masque de roi de la provoc et de l’humour décapant.


Alain Jégou et Mary Beach



Après sa mort en 2002, j’ai gardé le contact avec Mary et suis allé la voir à deux reprises, à Norwich, puis à Cherry Valley. Mary est morte en 2006. Aujourd’hui, je suis toujours en relation avec Pamela et Jeffery, les enfants de Mary, et le poète beat Charles Plymell, mari de Pam. »

I comme Indiens

« Déjà quand j’étais môme, quand on jouait aux cow-boys et aux Indiens avec mes potes, je choisissais toujours le camp des « méchants sauvages ». J’avais dû déjà percevoir le courage et la fierté de ces peuples et l’infamie dont ils avaient été victimes.
La culture amérindienne m’a toujours fasciné. Leur rapport à la terre et aux éléments, leur profond respect pour la nature, leur détachement de toutes préoccupations matérialistes, leur mépris pour tous comportements vénaux et égoïstes, leur solidarité tribale, leurs mythes et légendes… Toutes ces choses tellement lointaines de nos histoires et cultures judéo-chrétiennes. Je me serais certainement senti plus à l’aise dans une telle société que dans celle où je suis né. Je parle de société, pas d’environnement, car comme je te l’ai dit précédemment, je suis vraiment heureux d’être né en Bretagne, ce qui n’aurait peut-être pas été le cas si j’étais né dans le désert d’Arizona ou dans les Rocheuses du Montana. »

N comme Navajo

« J’étais en Arizona et au Nouveau-Mexique à l’été 1995. Le bateau était en carénage et je disposais d’une dizaine de jours de temps libre. J’en ai donc profité pour faire cette petite virée sur le Territoire de la Tortue (c’est ainsi que les « natives » appellent l’Amérique). Ce fut un chouette périple à travers le désert et les réserves. Débarqué à Phoénix, Arizona, j’ai loué une bagnole pour monter au Grand Canyon, puis j’ai mis le cap sur le Nouveau-Mexique, en passant par Flagstaff, Holbrook, Gallup (où j’ai fait un brin de chemin sur la mythique Road 66), Albuquerque, Santa Fe, Taos, Los Alamos, Las Cruces, El Paso, Tucson, et retour à Phoénix. Je raconte aussi tout ça dans un bouquin publié par La Digitale : « Paroles de sable ».
Tout ne s’est bien sûr pas passé comme je l’avais imaginé. Les voyages, ça ne se passe jamais comme on les prévoit et imagine, mis à part ceux organisés par les tour-opérateurs. J’avais quelques adresses de poètes amérindiens fournies par Manuel Van Thienen, leur traducteur pour la France, mais soit ils étaient absents lors de mon passage, soit je passais trop loin de chez eux pour les visiter. J’ai donc laissé tomber très vite mon carnet d’adresses et ai suivi mon bonhomme de chemin à l’instinct. Y’a tellement de lieux magiques et bouleversants dans le désert qu’il suffit de se laisser porter pour faire des découvertes et rencontres exceptionnelles. C’est ce que j’ai fait durant cette dizaine de jours. »

L comme Lance Henson

« Lance est venu deux fois chez nous. La première fois en mars 1995 avec Manuel Van Thienen, son traducteur et ami, qui me l’a fait connaître. La deuxième fois, il est venu seul et nous avons fait une tournée de lectures en Bretagne ensemble. C’était en février 1998. Je me souviens qu’il faisait anormalement froid cet hiver-là et que nous avons sacrément caillé sur les routes du Centre Bretagne. Heureusement que le lambig (eau de feu bretonne) coulait abondamment dans nos veines et qu’il y avait les sourires des squaws du cru pour réchauffer nos cœurs. J’ai écrit un poème là-dessus, publié dans « Qui contrôle la situation ? » à La Digitale.

Lance n’est pas venu en mer sur « l’Ikaria ». Les Affaires maritimes ne nous autorisent pas à embarquer des passagers en hiver. C’est trop dangereux. Il est cependant venu à bord dans le port. Il voulait voir comment c’était foutu un bateau de pêche breton. Il trouvait l’habitacle vachement exigu. Il s’est marré en visitant le poste d’équipage et m’a dit : « lorsque je ne saurai plus où aller pour me planquer du FBI, je viendrais volontiers me réfugier sur ton bateau. Et si t’as des problèmes avec les fédéraux d’ici, je t’accueillerai dans mon tipi en Oklahoma, OK ? » « No problem, brother », que je lui ai répondu et on est allés siroter quelques bières bretonnes dans un des nombreux bistrots du port pour arroser notre nouveau traité.Une autre fois, nous nous baladions sur le rivage. Les vents du large soufflaient fort depuis plusieurs jours et la mer était grosse. Lance avait du tabac et de petits cailloux d’Oklahoma dans une bourse qu’il portait autour du cou. À un moment, il s’est tourné face à l’océan, a déposé quelques brins de tabac dans l’eau et a jeté deux ou trois petits galets dans les vagues. Il a ensuite médité quelques minutes puis est venu vers moi et m’a dit : « J’ai parlé pour toi à l’océan, brother. Demain tu pourras retourner en pêche en toute sérénité ». Ce fut un grand moment de partage et d’émotion. »

Lecture de "Ombre rosse" par la poète cheyenne Lance Henson en 2005

Indian American Mouvement

L’American Indian Movement (AIM) est une association qui milite pour la reconnaissance des droits des amérindiens. Le mouvement est apparu sur la scène nationale avec l’occupation non-violente de l’île d’Alcatraz de 1969 à 1971, soutenue par le Black Panther Party.

L’AIM manifeste depuis sa création pour la défense des intérêts des amériendiens (Native Americans). Elle inspire un renouveau culturel, contrôle les activités de la police et coordonne des programmes d’emploi dans des villes et au sein de communautés rurales à l’intérieur des réserves sur l’ensemble du territoire américain. Elle apporte également son soutien à d’autres causes indigènes en dehors du territoire des Etats-Unis.

Depuis 1976, l’AIM demande la révision du procès d’un de ses militants, Léonard Peltier, condamné à perpétuité depuis 1976 pour le meurtre présumé d’un agent du F.B.I. dans la réserve de Pine Ridge.

Le récit de voyage en terre navajo publié en 1995 par Alain Jégou sous le titre Paroles de sables est dédié à Léonard Peltier.

La Beat Generation

La Beat Generation désigne un mouvement littéraire née au Etats-Unis à la fin des années 50 autour de quatre hommes : Jack Kerouac, Allen Ginsberg, Neal Cassady et William Burroughs.

Ces écrivains contestataires et révoltés dénoncent par leur écrits et leur mode de vie la société de consommation de leur époque, le fameux American Way of Life. Certains se droguent, mènent une vie de bohème et rejettent tous les tabous. Pour autant, ces auteurs sont en quête d’une vie plus « pure », plus spirituelle, loin de tout matérialisme, hypocrisie et superficialité.

L’œuvre emblématique de la Beat Generation demeure aujourd’hui encore Sur la route de Jack Kerouac publié en 1948. Ce livre marqua bon nombre de jeunes écrivains dès les années 60.

En éditant les écrits des auteurs de la Beat, la Librairie City Lights fondée par le poète Lawrence Ferlinghetti deviendra un haut lieu de ce mouvement.
City Lights publia dès 1963 le premier ouvrage de Claude Pélieu, seul poète français de la Beat.
Dans le courant des années 60, appelé beatniks par dérision, le mouvement de la Beat Generation furent récupéré, non sans malentendus, par le mouvement hippie.

Interview de Jack Kervouac par la TV canadienne

Revues et fanzines des années 70

Dans les années 70 de très nombreuses revues et fanzines consacrées à la poésie voient le jour. Souvent l’œuvre de passionnés, ces magazines ronéotypés sont le lieu privilégié de l’expression de la révolte et de la liberté de toute une génération de jeunes poètes dont Alain Jégou. Cette génération en révolte n’hésite pas à s’attaquer au écrivains établis et reconnus comme Alain Bosquet dans ce document :

Parmi les publications nées à la fin des années 60 et aux début des années 70, dans lesquelles sont publiés des textes d’Alain Jégou, on peut citer : Zone, Mai Hors, Saison, Dérive, Bunker, Le Sphinx et Ecchymose.









Publications

1972 - Vivisection. - éd. Millas-Martin

1974
- Fleurs scalpées du silence. - éd. Les cahiers de l'hirondelle


1978
- La Suie-Robe des sentiers suicidaires. - Samipec

1983
- Opaque. - éd. Vrac
1983 - Ce qui vitriole le silence
1983 - Pierre
1983 - Jusqu'à l'aube par effraction. - éd. Hôtel Continental

1988 - Amers. - éd. Atelier Landsable

1989
- Partance. - éd. Atelier Landsable

1991 - Totems d'ailleurs. - éd. Le Dé Bleu
1991 - Couleurs d'étreintes

1993 - Numa Naha. - éd. Wigwam

1994
- Cocktail barbare. - éd. Alcatraz Presse

1995
- Comme du vivant d'écume. - éd. La Digitale
1995 - Fionie folie. - éd. Alcatraz Presse
1995 - Flanchent aussi les nuits. - éd. Barrio Chino

1996 - Abtrift/Dérive. - éd. AVA
1996 - A l'éperdu des songes. -éd. L'Atelier

1997 - Visage sans tain. - éd. L'Atelier
1997 - Paroles de sable. - éd. La Digitale

1998 - Afflux. - éd. Atelier Landsable
1998 - La Grande Table. - éd. La Digitale
1998 - Ikaria LO 686070. - éd. Travers

1999 - May Day. - éd. Gros Textes
1999 - Kerouac City Blues. - éd. La Digitale

2000 - La piste des larmes. - éd. Blanc Silex

2001 - Avis de tempête et de fort coup de dent dans la baraque des temps. - éd. La Digitale
2001 - Cocktail barbare. (CD) - éd. Saint-Germain-Des-Prés

2002 - Chair de Sienne. - éd. Cadex
2002 - Kerouac et la Bretagne. - éd. Blanc Silex

2003 - Ombres furtives/ Flüchtige schatten. - éd. AVA

2004 - Gracias a la vida. - éd. Le chat qui tousse
2004 - karia LO 686070, carnet de bord. - éd. Blanc Silex

2005 - Qui conrôle la situation ? . - éd. La Digitale

2005 - Juste de passage (Paso por aqui). - éd.Citadel Road Editions
2005 - Symphonie érotique. -éd. Fibles libres & L'Autre Rive

2007 - O Felo. - éd. AMASTRA-N-GALLAR
2007 - Passe Ouest suivi de Ikaria LO 686070. - éd. Apogée
2007 - Cash, suivi de Dérive et Ombres furtives. - éd. L'Autre Rive


2009 - Fatal ressac avec Joëlle Quatresous. - éditions Les chemins bleus (collection nuage noir polar)


2010 - Paysages écrits - dessin de Georges Le Bayon, correspondance entre Alain Jégou et Jacques Josse. - éditions Folle Avoine.

2011 - Exode - Livre d'artistes avec Alain Le Beuze et les gravures de Georges Le Fur

2012 - Ne laisse pas la mer t'avaler. - éditions des Ragosses.






2012 - Une meurtrière dans l'éternité suivi de Boucaille Postface de Ghislain Ripault - éditions Gros Textes, collection l'espace d'un soupir.





2015 - Direct live d'Alain Jégou  avec une préface de Benoît Delaune