V comme Vivisection

« C’est Guy Benoît qui m’a permis de publier en revue pour la première fois. C’était en 1972, je crois. Il dirigeait la revue « Périmètre », publiée par Millas Martin. J’avais adressé un manuscrit à Millas Martin pour le prix François-Villon, un long poème sur Artaud. « Vivisection », ça s’appelait. Tout un programme ! C’était ma période « méchante déglingue ». Faut dire que je venais tout juste de débarquer de Papeete et Mururoa quand j’ai écrit ça. Guy a aimé ce texte et m’a demandé si j’acceptais qu’il en publie un extrait dans « Périmètre ». Bien sûr, j’ai accepté illico. Puis, comme je n’avais pas remporté le prix, Millas Martin m’a proposé de publier le recueil, moyennant une petite participation financière, pas grand-chose. ça se faisait beaucoup à l’époque et je connais pas mal de poètes, aujourd’hui fort connus, qui ont aussi accepté de cracher au bassinet pour voir leurs poèmes imprimés et leur nom en majuscules sur une couverture de bouquin. Un premier recueil, c’est comme un premier amour, une première expérience sexuelle, le truc qui te reste gravé en tripes et en tête jusqu’à la fin de tes jours. Tu penses si je m’en souviens de cette première publication ! »

F comme Fatras

« La poésie, c’est de l’émotion pure et dure, tout un fatras de sentiments qui te remontent de la tripe, t’envahissent et te lâchent plus, ne te laissent aucun moment de répit tant que tu n’es pas parvenu à les étaler sur ta feuille de papier. Du sang, du foutre, de la sueur et des larmes, tout ce flux furibard de toi que tu ne maîtrises pas, ce bouillonnement intérieur qui fait vibrer et morfler ton cœur d’humain ordinaire.

Un foutu programme pour un furieux tempo que tu t’efforces de retranscrire avec tes mots. C’est ce que j’ai essayé de faire dans mes textes : vider mon sac à émotions en m’efforçant de trouver les tonalités et vocables appropriés.Je pense que mes lectures de L’ombilic des Limbes et du Pèse-Nerfs d’Artaud, ainsi que celles de Jukeboxes et Tatouages mentholés et Cartouches d’aube de Claude, ont été pour beaucoup dans cette façon de déballer débraillé. Sans oublier les longues heures d’écoute des enregistrements de Thelonious Monk, Charlie Parker, Miles Davis, Chet Baker… ou de Jimi Hendrix, Janis Joplin, Jim Morrison, Bob Dylan, Frank Zappa et bien d’autres. L’écriture s’est faite au fil des expériences, mais aussi des connivences et partages essentiels. Ce « style simple, direct et totalement déjanté », s’est imposé tout naturellement, sans doute en réaction contre tous les discours et ouvrages gonflants imposés à mon jeune ciboulot en pleine ébullition, mais surtout pour affirmer, revendiquer, mes aspirations et affinités, avec la même force que mes rejets et exaspérations. »

H comme Hargne

« Ma conception de la poésie est restée la même depuis la publication de « Vivisection ». Seulement l’écriture s’est un peu transformée au fil du temps, des expériences et des bouleversements de la vie. Pas de fioritures ni de chichis, juste un phrasé brutal, âpre, une poésie exaltée et débraillée, fumasse et combative, une arme « chargée de futur » comme dirait Celaya, c’est ça ma conception.
Aujourd’hui, ça ronronne et minaude du vocable dans la plupart des revues que je reçois. Le poétiquement correct, j’adhère vraiment pas. Au risque de passer pour un vieux con nostalgique, je constate qu’il y avait quand même bien plus de hargne, d’insolence et d’audace dans les fanzines et revues de poésie des années 60-70 que dans tout ce qu’on peut lire aujourd’hui. A quelques rares exceptions, c’est plus que branlettes de bulbe et gamahuchages d’ego. Rien à voir avec les gueulantes et barouds de mots qui s’étalaient sur les feuillets à l’époque. C’est tout mou dans le con-texte actuel et ça ne con-teste plus. Flagrant signe des temps, même la poésie s’englue dans le discours gonflant. Le petit con-fort, la petite renommée, les petites con-nivences, suffisent désormais au bonheur des poètes du vingt et unième siècle débutant. Plutôt tristounet, tout ça, non ? »

G comme Georges Le Bayon

« Avec Georges, c’est une longue histoire. Ca fait plus de 40 berges qu’on se connaît. J’avais 17 ans et lui 18 quand on s’est rencontrés pour la première fois. Il était élève à l’école des beaux arts de Lorient et moi j’usais mes jeans sur les bancs du lycée. Le courant est tout de suite passé entre nous et on est devenus comme deux phalanges d’un même poing. On avait les mêmes idées, les mêmes révoltes, les mêmes goûts musicaux et littéraires, les mêmes enthousiasmes et colères. Il nous arrivait même de craquer pour les mêmes filles et de nous les partager sans gêne ni soucis d’aucune sorte. Nous étions volages à l’époque, et nos copines l’étaient autant que nous. Nous avions estourbi tous les tabous et acquis la liberté d’aimer et de jouir sans retenue. Il n’y avait rien de choquant pour les garçons de notre génération d’avoir plusieurs petites amies, ni pour les filles d’aimer plusieurs garçons à la fois. Ce qui peut paraître scandaleux et inacceptable pour d’aucuns ou d’aucunes aujourd’hui ne l’était absolument pas pour nous. C’était ainsi et nous trouvions tous ça terriblement salutaire et excitant.

En plus de notre relation amicale, nous avons eu ce privilège de pouvoir partager nos fringales et passions créatrices. Georges en peinture et moi en littérature, nous avons souvent associé nos émotions pour faire œuvres communes, que ça soit dans des livres ou lors d’expositions. Une forte complicité qui perdure et s’exprime avec toujours la même vigueur par delà le temps et les évènements qui ont jalonné nos deux vies.Georges vit à Belle Ile et peint essentiellement des paysages marins. Nous partageons un amour immodéré pour l’océan, ainsi que pour les ciels et rivages bretons, qui, dans ses peintures ou pastels, prennent souvent formes et tons particulièrement évocateurs et émoustillants. En plus de notre goût fort prononcé pour le bon vin, la bonne bouffe, et toutes les visions de petites beautés charnelles qui charment nos esprits, nous aimons pareillement les rencontres et échanges verbaux qui se prolongent fort tard dans la nuit, autour de grandes tablées, la voix, les yeux et le cœur tout chargés de poignants et somptueux sentiments. Nous avons tous deux le culte des amitiés sincères et de longue durée. »

P comme Prix

« Je ne m’attendais pas du tout à recevoir ces prix (prix Xavier-Grall et le prix Henri-Queffelec), d’autant plus que je n’ai fait aucune démarche dans ce sens. Pour le prix Xavier-Grall, ce sont les organisateurs qui ont décidé de me l’attribuer pour « l’ensemble de mon œuvre » (fichtre ! ce sont aux auteurs défuntés, ou à ceux tout proches de le devenir, qu’on rend ce genre d’hommage, non ?) Quant au prix Henri-Queffélec du Festival Livre et Mer de Concarneau, c’est mon éditeur Apogée qui a proposé mon ouvrage à la sélection du jury, sans même penser de m’en avertir. J’ai appris par mon ami Marc Le Gros, dont le livre « Marée basse » avait également été retenu lors de la première sélection, que nous étions tous deux en compétition. Face à des auteurs comme Marc Le Gros, Edouard Glissant, Anna Enquist, Karin Huet, et quelques autres d’égal talent, je ne m’attendais vraiment pas à décrocher la timbale. J’en suis toujours pas revenu, du reste.
Même quand j’étais môme, à l’école, j’ai jamais été foutu de décrocher la moindre médaille. C’est la première fois de ma vie, à presque 60 balais, que je reçois un prix, alors deux d’un coup, t’imagines la surprise ?
J’ai beau faire le mariolle, j’étais quand même très ému lors de la remise de ces deux prix, surtout pour le Xavier Grall, car Françoise Grall et deux de ses filles étaient présentes lors de la cérémonie. Françoise ne sort plus beaucoup le soir et j’étais vraiment touché qu’elle ait accepté de se déplacer pour moi. »

P comme Pêche

« J’ai commencé par les casiers, à Doëlan, comme matelot, puis j’ai continué lorsque j’ai acheté mon premier bateau, le « Skrilh Mor » (« Grillon de la mer » en breton, ou langouste), en 1978. Puis, comme bon nombre de caseyeurs bretons, j’ai opté pour la pêche aux filets, ciblant le poisson, lorsque les pêcheurs anglais se sont mis à pêcher le tourteau pour l’exportation et à inonder le marché français. Nous n’étions plus compétitifs, alors nous avons dû changer de type de pêche. Avec le « Skrilh Mor », j’avais déjà diminué le nombre de mes casiers pour augmenter petit à petit celui des filets, d’abord les grands maillages à lottes, raies, turbots, puis ceux à lieus jaunes, merlus, juliennes. Mais le bateau n’était pas adapté pour ce type de pêche, alors j’ai décidé de faire construire l’« Ikaria », le faisant aménager et équiper à mon idée, avec l’accord et la complicité du directeur du chantier de La Presqu’île, au Croisic. C’était en 1986.
L’« Ikaria », (comme le « Skrilh Mor » avant lui), était armé à la petite pêche et nous fréquentions essentiellement les zones côtières de Bretagne Sud, des îles Glénan au sud de Belle-Ile. Nous faisions la journée, durant la majeure partie de l’année, départ à 3 h du matin et retour vers 15 ou 16 h, 6 jours sur 7, et partions pour la semaine durant les mois d’avril-mai dans le sud de Belle-Ile, 7 heures de route de notre port d’attache, pour pêcher le rouget barbet, départ le dimanche soir et retour dans la nuit du vendredi au samedi. Nous avions une cale réfrigérée à bord et pouvions stocker jusqu’à 2 tonnes de poisson, mais nous venions débarquer la pêche en milieu de semaine à Lorient ou Quiberon pour assurer la qualité du poisson. Nous quittions la zone de pêche dans l’après-midi du mardi pour faire l’aller-retour dans la nuit et arriver sur zone le mercredi à la pointe du jour pour remettre en pêche, 14 heures de route. Beaucoup de boulot et peu de repos durant ces campagnes de rouget. Il m’est arrivé de ne dormir qu’une petite quinzaine d’heures sur 5 jours. C’était vraiment lessivant, mais la saison du rouget durait peu de temps, alors il ne fallait surtout pas la rater. Avec les pêches de soles en janvier, février, mars, c’était une part importante de notre chiffre d’affaires de l’année. »

O comme Océan

« Le fait d’être né à si peu de distance de l’océan a sûrement influé sur mes choix existentiels et professionnels. Et puis, plus tard, toutes mes années d’enfance passées à glander ou courir sur le rivage, cheveux au vent et les yeux sans cesse plongés dans tout ce bleu immense, avant qu’ils bifurquent vers les roploplos naissants et popotins jolis des petites amoureuses estivales, j’pouvais vraiment pas y échapper. Malgré la courte durée d’éloignement, les périodes scolaires à me morfondre au pensionnat, puis une année passée à faire le con dans le Pacifique (encore un océan), nourri, logé et irradié, aux frais de la princesse, sur un atoll livré aux géniaux adeptes du thermonucléaire, et quelques escapades sur les routes d’Europe durant ma période « vagabond céleste », je n’ai jamais vécu bien longtemps éloigné de mon cher vioque Atlantique.
Durant mes années de lycée à Lorient, une fois viré de chez les curetons de Redon, il m’arrivait même fréquemment d’aller bosser au port de pêche la nuit, au débarquement du poisson et lavage de la criée, pour me faire un peu d’argent de poche. De voir tous ces rafiots et ces forbans de matelots qui roulaient leurs mécaniques sur les quais et dans les bistrots, a dû aussi me coller quelques idées vagabondes en tête.
L’idée a mis du temps à mûrir, car ça n’est qu’à l’âge de 28 ans, après avoir exercé quelques turbins terriens, comme manœuvre du bâtiment en Suisse durant quelques mois ou chauffeur routier en France durant cinq ans, que j’ai signé pour mon premier embarquement. »

M comme Mer

« C’est particulièrement jouissif de se sentir en harmonie avec les éléments, loin de toutes les mesquineries et turpitudes auxquelles on est confronté à terre. C’est la totale évasion, le trip absolu. Et puis il y a un formidable rapport charnel avec la mer. Même s’il y a la coque du rafiot entre elle et toi, tu la sens qui vibre, bouge, ondule, tressaille… en permanence sous toi, telle une femme avec qui tu ferais l’amour. A la différence qu’elle serait plutôt mante religieuse que femme aimante, la mer, cap de te becter une fois la petite affaire terminée. Elle est comme ça. Elle sait se montrer docile, câline, voluptueuse à souhait, puis virer chieuse, hargneuse, dangereuse, sans que tu n’aies fait quoi que ce soit pour la mettre en de tels états. Les rapports sont souvent compliqués avec elle et tout son attirail atmosphérique, mais on peut aisément lui pardonner, passer outre toutes ses sautes d’humeur, lorsqu’on est franchement mordu. A la vie, à la mort. Même lorsqu’on a posé définitivement son sac à terre, qu’on a cessé de lui caresser quotidiennement la croupe, le désir est toujours là et on ne peut mater ses formes, humer ses fragrances iodées, sans en être tout tourneboulé. »

N comme Naviger

« Naviguer par gros temps, c’est toujours pénible et éprouvant, mais le pire qui puisse arriver dans ces sales conditions, c’est l’incident mécanique. Lorsque le moteur décide de se foutre en grève, le bateau est livré aux seuls éléments et tu ne peux plus rien maîtriser. La galère absolue ! Si tu ne peux pas réparer la panne, ta seule planche de salut, ce sont les copains, à condition que l’un d’entre eux parvienne à te rejoindre à temps pour te passer la remorque et vous ramener à terre, ton bateau, ton équipage et toi, avant que la mer ne vous becte tout crus. Ça nous est arrivé une fois, en panne de barre, dans un endroit particulièrement hostile puisque nous n’étions qu’à environ un demi-mille des falaises de l’île de Groix et que les vents nous poussaient vers la roche. Sans l’arrivée rapide d’un confrère qui était en pêche dans la zone, nous aurions été fatalement drossés à la côte. »

F comme Fatalité

« J’ai perdu une bonne vingtaine de copains en mer en 28 ans de carrière, des mecs que je connaissais bien, avec qui j’avais fraternisé et souvent discuté. Il y a un certain sentiment de fatalité qu’on acquiert très vite dans ce métier qui est, aux dires des statisticiens, le plus dangereux de tous. Il faut vivre avec le souvenir de ces naufragés-là, certains repêchés, d’autres jamais retrouvés, avec aussi l’idée qu’un jour ça pourrait être notre tour de « boire la lavure de notre fessier », comme disaient les anciens. La mort, la grande faucheuse drapée dans son suaire noir déboulant de la brume sur sa vieille barcasse, on la connaît bien, on la fréquente au quotidien, on connaît ses petites manies, y’a une espèce de deal entre elle et nous, on fait avec et on finit par l’oublier jusqu’au moment où elle réclame son tribut. C’est comme ça ! Qu’est-ce qu’on y peut ? »