Lutz Stehl

Fort intérieur

Les mots d’Alain Jégou sont, malgré leur richesse, des messages de morse échoués sur la côte. Grâce à ces mots-messages qu’on apprend à décrypter, avec lui, grâce à lui, on apprend à regarder le large. D’un seul coup ou lentement, vague après vague, objet par objet, ce large géographique approché et scruté grâce aux mots, devient le vrai large : un paysage intérieur inconnu. Un infini. C’est en le regardant qu’on apprend un certain emploi de la vue et que l’on se reconnaît dans une vision. Le sens des mots, tirés des choses, est délibérément fraternel. Il se retrouve dans les moindres détails, ceux qui feignent d’être insignifiants. Et le sens du large propre à Alain ne se résume pas à ce que la vue donne à voir depuis les points fixes de la terre ferme, de celle qui est bien à terre. Mouvance est le sens profond de la poésie d’Alain Jégou. L’horizon où il pêche les mots pour approcher et cerner les choses est une métaphore.
Dans leur « for intérieur », les violences verbales recherchées d’Alain Jégou, ses trouvailles lexicales, les belles torsions qu’il n’inflige pas seulement au verbe font naître tout un univers poétique qui vit de la suggestion et d’évocations qui interpellent le lecteur par la valeur musicale autant des allusions que, il faut le rappeler, des mots souvent très directs d’Alain. Dans « son for intérieur », cette écriture est le reflet des paysages qu’il côtoie. Et elle aspire peut-être à cela : que la part d’identité et d’appartenance à la Bretagne, la sienne, soit partagée, sans pompe marine, avec ceux qui éprouvent pour ce pays la même affection. Sa poésie fait émerger tant de lieux, vrais et fictifs, surtout ceux qui sont près de la mer ou face à la mer et qui ont les yeux, pour ainsi dire, rivés sur elle, même si, par humeur géographique, quelques-uns de ces lieux tournent le dos à la mer. Alain Jégou est resté homme de mer – et, même à terre, il est toujours en mer. Et les mots, des mots justes pour saisir ce qui est fugace, aiment venir s’échouer près de lui …..

Lutz Stehl,
Kandel (Allemagne) – Fort Bloqué

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